mercredi 9 septembre 2009

Pièce de théâtre vs misère

Il s'agit d'une pièce de théâtre destinée à mettre légalement hors la loi: misère et pauvreté. L'honnête homme ne peut que trouver ces failles du système intolérables. Il faut en finir très vite avec un tel scandale, d'une manière intelligente, sans appauvrir le pays, au contraire...

Aucune indication scénique mentionnée, les priorités étant autres.
Auteur : TIERSI


L’IGNORANCE N'EST PAS UNE EXCUSE

1
Saturnol : Afin d’éradiquer le paupérisme, que feriez-vous ?
2
Bacchanus : Facile ! attribution aux indigents d’une nourriture suffisante, y compris l’été.
3
Saturnol : Cela va de soi. Autre chose ?
4
Bacchanus : Chaque famille ou célibataire bénéficierait d’un logis personnel. Avec les commodités indispensables : éclairage, énergie, chauffage, sanitaires…
5
Saturnol : Les miséreux ne sont pas des bêtes sauvages. Rien de plus?
6
Bacchanus : Accès aux soins médicaux.
7
Saturnol : A l’évidence, ils souffrent comme tout le monde. Votre liste est-elle close ?
8
Bacchanus : Réservation d’un emploi pour l’indigent valide.
9
Saturnol : Est-ce fini ?
10
Bacchanus : On ajoutera quelques ortolans.
11
Saturnol : Le sujet est sérieux.
12
Bacchanus : J’en conviens. Mais qu’escomptez-vous me faire dire ?
13
Saturnol : Eliminer la misère n’est pas qu’une affaire de bons sentiments ou de justice sociale. En supprimant cette honte collective, on pacifie les populations.
14
Bacchanus : Et alors ?
15
Saturnol : Votre énumération est incomplète.
16
Bacchanus : L’éducation ! Il faudrait un enseignement adéquat, s’adressant à tous les âges.
17
Saturnol : Maintenant, au niveau de la réalisation, comment procéderiez-vous, concrètement ?
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Bacchanus : Je lèverais des bataillons d’employés chargés de mettre en application ces directives.
19
Saturnol : Si je comprends bien, on devrait embaucher une armée de fonctionnaires.
20
Bacchanus : On peut aussi le dire comme ça.
21
Saturnol : Avez-vous pensé que ce nouveau secteur non productif viendrait grever les forces économiques du pays, compromettant du même coup sa position internationale ?
22
Bacchanus : On n’a rien sans rien.
23
Saturnol : Remplacer des préjudices par d’autres ne règle jamais les choses à long terme. Le problème est déplacé sans être supprimé.
24
Bacchanus : Devrait-on pour autant renoncer à l’éradication du paupérisme ?
25
Saturnol : Pas forcément.
26
Bacchanus : Et en faisant quoi, monsieur Je-sais-tout ?
27
Saturnol : Mon inégalable modestie dut-elle en souffrir, il me faut admettre que vous me prêtez un trop large éventail de connaissance.
28
Bacchanus : Seriez-vous pris à votre propre piège ? Discuter, oui. Mais proposer, niet !
29
Saturnol : Pas si vite. Parfois, avec à un brin d’imagination…
30
Bacchanus : Ah ! je vois : la noble inspiration de l’artiste. Et que raconte votre amusante muse musant dans son empyrée ?
31
Saturnol : S’il vous plait, accordez plus d’égards à cette messagère noétique, sinon elle choisira le mutisme.
32
Bacchanus : Feinte évitant de répondre.
33
Saturnol : Hélas pour vous, ce n’est pas le cas. Revenons donc à nos ovins. S’additionnant aux apports matériels, l’extension des effectifs d’employés fonctionnarisés impliquerait un net surcroît d’imposition.
34
Bacchanus : Alors que faire, monsieur « moins d’impôt » ?
35
Saturnol : Vous ne croyez pas si bien dire. Afin de ne pas étriller le contribuable moyen, tous les habitants payeraient leur part d’impôt. Rappelons qu’actuellement, une moitié des Français sont dispensés de l’Impôt sur le Revenu.
36
Bacchanus : Je conjecture un paradoxe humaniste. Refusant l’accroissement d’impôt, vous étendez sa perception à l’ensemble des citoyens. Dites-moi que j’ai mal entendu.
37
Saturnol : Tour de contrôle à Victor Oscar Uniform : message reçu cinq sur cinq.
38
Bacchanus : Attendez. Cela signifie que votre machination consiste à faire payer des indigents : qui n’ont pas le sou.
39
Saturnol : Exact.
40
Bacchanus : Belle âme. Vous enchérissez sur le prince Jean.
41
Saturnol : Pas sûr. Votre entendement néglige un détail.
42
Bacchanus : Lequel ?
43
Saturnol : Depuis déjà longtemps, même les plus miséreux payent un impôt.
44
Bacchanus : Comment ça ?
45
Saturnol : Chaque fois, par exemple, que l’un d’entre eux achète sa bectance ou son litron de pinard, il est ponctionné par le fisc : impôt nommé TVA.
46
Bacchanus : Dites plutôt : le commerçant paye la TVA.
47
Saturnol : Que nenni ! Ce retranchement est puisé directement dans la bourse du client. Le commerçant se borne juste à collecter cet impôt, dit « indolore ». Et à l’œil, en plus. Brillantissime ! Même le prince Jean n’aurait jamais osé concevoir un tel stratagème.
48
Bacchanus : Hommage d’un fin connaisseur, Messire Prince Jean II.
49
Saturnol : Titre offensant, lorsqu’on est comme moi si fière de sa roture.
50
Bacchanus : Concernant ses aïeux, l’homme devient chatouilleux.
51
Saturnol : Rassurez-vous. Ma basse extraction pourrait être un motif de suffisance, mais j’arrive à en faire abstraction. Je sais me mettre à la portée de ceux qu’un funeste destin priva d’une humble ascendance.
52
Bacchanus : En attendant, comment allez-vous faire payer le crève-la-faim, qui n’a pas d’argent ?
53
Saturnol : La réponse est en partie contenue dans votre question.
54
Bacchanus : Quelle partie ?
55
Saturnol : Qui n’a pas d’argent.
56
Bacchanus : Justement, là réside l’inextricabilité du problème.
57
Saturnol : Il existe pourtant une issue.
58
Bacchanus : Que racontez-vous ? Un sou est un sou. Celui qui n’en possède aucun, n’en donnera aucun. En fait d’issue : votre impasse est un barrage.
59
Saturnol : Touchant les travaux publics, l’affirmation reste à démontrer. Mais trêve de sémantique, vous oubliez quelque chose.
60
Bacchanus : Quoi donc ?
61
Saturnol : L’argent possède des équivalences.
62
Bacchanus : C’est vrai que les traîne-misère peuvent donner leurs bijoux et autres biens précieux dont ils aiment à s’entourer.
63
Saturnol : Je ne relèverai pas ce mauvais esprit.
64
Bacchanus : Taratata. Vous êtes coincé au fond de votre cul-de-sac, reconnaissez-le.
65
Saturnol : Pas encore. J’avais en tête une autre équivalence.
66
Bacchanus : C’est-à-dire ?
67
Saturnol : Le salaire – soit de l’argent – égale du travail. L’inverse de même se vérifie.
68
Bacchanus : Splendide ! On transforme les nécessiteux en esclaves.
69
Saturnol : N’exagérons pas : réduit serait ce temps de travail. Permettez un petit rappel. Au nombre de vos suggestions, vous stipuliez : « réservation d’un emploi pour chaque indigent valide ».
70
Bacchanus : Je ne prévoyais pas de détrousser les miséreux en confisquant leur paye.
71
Saturnol : Soyons clair. La tranche fiscale dont il est ici question ne servirait qu’à éradiquer le paupérisme, et rien d’autre. Secondairement : la part contributive du nanti devient entraide pour l’indigent.
72
Bacchanus : Hmm ! Je crois deviner là un sophisme.
73
Saturnol : Vous me surestimez.
74
Bacchanus : Allons donc. Tout ce qui vient d’un suppôt du marché libre doit être décortiqué. Je m’attends à ce que vous supprimiez l’actuel montant fiscal correspondant aux opérations menées par l’Etat afin de lutter contre la misère : puisque les deux prélèvements doublonneraient.
75
Saturnol : D’autant plus à bon droit que résulte de la bienfaisance institutionnalisée un bilan fort lacunaire.
76
Bacchanus : Sur ce point, je ne vous contredirai pas.
77
Saturnol : Ni moi sur votre présupposition.
78
Bacchanus : Alors c’est un peu fort. Dans cette histoire, seuls les indigents vont casquer.
79
Saturnol : Cela me désole d’en faire l’aveu, mais on doit aussi l’envisager. Avec un tel système, l’un dans l’autre, le pourvu risque bel et bien de voir sa contribution fiscale baisser. Les chiffres de l’économie économe peuvent quelquefois être cruels.
80
Bacchanus : N’empêche que je vois en vous un imitateur.
81
Saturnol : Qu’imité-je ?
82
Bacchanus : Moi !
83
Saturnol : Bien que peu regardant sur mes défauts, en aucun cas je ne voudrais être votre épigone.
84
Bacchanus : Le brocard ne change rien à l’affaire. Mes bataillons de fonctionnaires subissent votre veto, tandis que vous recruterez en pagaille.
85
Saturnol : Pourquoi devrais-je ainsi dilapider les fonds de l’Etat ?
86
Bacchanus : Parce que vous y serez contraint. Comment faire exécuter un travail non payé, sans la persuasion d’une armée de gardes-chiourmes ?
87
Saturnol : On peut tout à fait se passer d’iceux.
88
Bacchanus : J’ai compris. L’infamie est aveuglante : absentéisme sanctionné par la suppression des biens prévus. A votre place, j’aurais honte.
89
Saturnol : Malheureusement, il me parait impossible d’employer votre excellente suggestion : mon plan étant conçu pour fonctionner avec une stratégie différente.
90
Bacchanus : Je redoute le pire.
91
Saturnol : Il se pourrait qu’en l’occurrence vous n’ayez pas tort. Le principe de base est plutôt répréhensible. Contrairement au proverbe qui dit : « on n’a rien sans rien », ici l’indigent « aura tout sans rien ». Même en refusant d’accomplir son travail-impôt, il bénéficiera de l’ensemble des biens indispensables par vous énumérés.
92
Bacchanus : Procédant de votre esprit cauteleux, cette libéralité cache quelque chose.
93
Saturnol : J’apprécie que vous dénichassiez en moi une aptitude, mais laissons là mon ego comblé. L’une des acceptions capitales du vocable polysémique « économie » est : « dépense évitée ». On sabrera donc la solde de vos mercenaires stipendiés par la puissance publique.
94
Bacchanus : Dans ces conditions, pour accomplir ce qu’on appelait « corvée » au temps des serfs, vous n’aurez pas un chat.
95
Saturnol : Votre façon de surévaluer la conduite des nécessiteux me réjouit.
96
Bacchanus : Ils sont comme tout le monde.
97
Saturnol : Encore mieux.
98
Bacchanus : Ne faites pas l’innocent, l’angélisme vous sied mal.
99
Saturnol : Cours-je le risque horrifiant qu’on m’accuse de pureté ?
100
Bacchanus : Foin de subterfuge, votre cogitation ne tient pas la route.
101
Saturnol : Et que faites-vous du civisme ?
102
Bacchanus : Soyons réalistes.
103
Saturnol : Je plaisantais.
104
Bacchanus : Un conseil : éradiquez de votre mémoire cette utopie mort-née.
105
Saturnol : Je n’ai pas dit mon dernier mot.
106
Bacchanus : Quel argument spécieux allez-vous élucubrer ?
107
Saturnol : Je pense à un objet persuasif, capable de motiver tout le monde, y compris les plus pauvres.
108
Bacchanus : Annoncez la merveille.
109
Saturnol : L’argent.
110
Bacchanus : Quoi ? Selon vos propres termes, le nécessiteux devait accomplir un travail fiscal pour lequel il ne serait pas payé.
111
Saturnol : Forcément, puisque c’est un impôt.
112
Bacchanus : Raisonnement aporétique.
113
Saturnol : En rien. Le travail de l’indigent s’avère une contrepartie des choses indispensables dont il bénéficie. Une rémunération s’y ajoutant ne serait pas antinomique : seulement…
114
Bacchanus : Seulement ?
115
Saturnol : L’offre recèle une condition.
116
Bacchanus : Je vous vois venir.
117
Saturnol : Alors situez-moi, que je sache où j’en suis. Qu’entreprends-je d’énoncer ?
118
Bacchanus : Une scélératesse de féal du négoce affranchi d’entraves.
119
Saturnol : Pas faux. Voici la stipulation : s’acquitter du travail-impôt.
120
Bacchanus : Pervers.
121
Saturnol : Epithète beaucoup trop flatteuse. Non, je dirais plutôt « efficace », si l’on en juge par le moteur principal qui aujourd’hui meut l’espèce humaine.
122
Bacchanus : Défaillance de votre chimère sur le plan sociétal : son effet corrupteur.
123
Saturnol : J’adore. Dites-m’en plus.
124
Bacchanus : Abandonnant leur emploi, les « travailleurs pauvres » se précipiteront sur l’aubaine : nécessaire pour vivre et appointements assurés, finie la peur du lendemain. Des petits fonctionnaires par milliers : bienvenue au club !
125
Saturnol : Sauf que…
126
Bacchanus : Sauf que ?
127
Saturnol : Compte tenu des avantages en nature, cette rétribution ne serait qu’un maigre complément. Pas de quoi bambocher.
128
Bacchanus : Nouvelle antilogie : dans ces conditions, pour quelle raison l’indigent se lèverait-il le matin ?
129
Saturnol : N’avoir pas un sou dans une société hyper-consommatrice rend malade, les tentations étant innombrables. Un peu d’argent, c’est mieux que pas d’argent du tout. Des achats épisodiques peuvent éviter la transformation du démuni en frustré imprévisible.
130
Bacchanus : Altruisme intéressé : sentiment inédit.
131
Saturnol : Les doctes psys soutiennent cet oxymoron que tous nous aurions en commun : l’on ne me suspectera donc pas d’humanité.
132
Bacchanus : Qui s’en aviserait ?
133
Saturnol : Vous me rassurez.
134
Bacchanus : Reste un problème peu soluble.
135
Saturnol : Qu’un ?
136
Bacchanus : Il vous faudra davantage qu’une goguenardise pour vous en tirer.
137
Saturnol : Enoncé du problème…
138
Bacchanus : Ce que néglige votre échafaudage de mesures utopiennes, à savoir : le financement des attributions gratuites. En particulier, l’habitat. Impossible d’échapper à un haussement énergique d’impôt.
139
Saturnol : Ne criez pas trop tôt victoire.
140
Bacchanus : Vous me la baillez belle, les payeurs d’ISF vont passer un mauvais quart d’heure.
141
Saturnol : Il y a moyen de moyenner.
142
Bacchanus : Reître de la pingrerie !
143
Saturnol : L’on ne m’amadoue pas ainsi : vous savez ce que m’inspirent les particules.
144
Bacchanus : Le protecteur des plus forts – pour son escarcelle – redouterait-il l’arrachement dû à ce super-impôt ?
145
Saturnol : J’ai la chance – vu sa minceur – d’en être préservé. Peu me chaut le sort d’infortunés à qui l’on prélève une gratification, et autres malheureux contribuables (adjectif entendu dans son sens idoine), moins riches, dont la bonne solvabilité stimule les appétits étatiques : m’importe surtout l’efficience.
146
Bacchanus : Se dévoie, le chevalier qui défend la rombière et l’héritier.
147
Saturnol : Je n’encours pas une telle indignité : nul ne m’incriminera d’équestre justicier, ma condition plébéienne m’en disculpe.
148
Bacchanus : La badinerie ne gomme pas les privilèges fiscaux accordés aux nantis.
149
Saturnol : Au risque d’une pesante réitération, ces quelques mots devraient suffire : il convient d’empêcher le bridage du moteur productif de la nation. Ou alors tout le monde en pâti. Reposant sur un axe presque moral, mon système voudrait rendre prioritaire l’économie, c’est-à-dire : la dispense de dépense.
150
Bacchanus : Votre antienne : discours vague de tribun roué.
151
Saturnol : Quoique sensible au compliment, il me faut le décliner. Ce supposé rang de notable n’a aucun fondement. Sachez que jamais je n’ambitionnasse de serrer des mains inconnues en foulant les marchés.
152
Bacchanus : Suffit que l’occasion se présente…
153
Saturnol : Mercure m’en garde ! Votre panégyrique est-il clôt ?
154
Bacchanus : Débitez vos fadaises. Elles seront difficilement plus inefficaces que nos législations qui laissent d’innombrables bipèdes vivre à la mode néandertalienne : caverne résidentielle en moins.
155
Saturnol : Vous placez la barre très haut, enfin soit ! relevons ce défi. Pour le gueux, la masure d’un bidonville est préférable à une absence de toit. Par extrapolation : une adresse en favela ne vaut pas un logement douillet de limousine.
156
Bacchanus : Il est vrai que certains garages font rêver.
157
Saturnol : Quand l’existence du nécessiteux parviendra au même échelon que celle d’une luxueuse bagnole, l’espèce humaine aura franchi un grand pas.
158
Bacchanus : Dixit le philosophe.
159
Saturnol : En admettant que j’eusse les qualités requises, ce turbin de sage mensualisé ne m’aurait pas convenu : m’insupporte par trop l’expression jargonnesque.
160
Bacchanus : Pourtant vous ne dédaignez pas les termes inhabituels.
161
Saturnol : Singulière confusion entre « abondance du lexique » et « cryptage de coterie », mais reprenons. Sans viser le standing de construction réservé aux autos rupines, des maisonnettes décentes sont réalisables. Prix modique : style bungalow. Exemple d’option dans la catégorie : « neuf ».
162
Bacchanus : Assigner aux miséreux une méchante cabane qu’un riche ne voudrait pas pour ses animaux de compagnie, c’est pitoyable. Aucune personne charitable ne saurait cautionner une telle inconvenance. A l’inverse, il leur faut des logis sérieux et réglementaires.
163
Saturnol : Face aux belles promesses des beaux projets oncques matérialisés, mieux vaut pour tous les miteux – et vraiment tous – la palpable clé à soi de son modeste chez-soi. Sans attendre les fameuses calendes à tort imputées aux Hellènes : tout de suite. Leur refuser ce brevet d’humanisation signifie que l’on souhaite conserver des multitudes de SDF (en hardes ou isolés) divagant dans nos cités. J’ai l’âme fuligineuse, mais pas à ce point.
164
Bacchanus : Bagout d’intello, pathos de rhéteur tout juste bon à impressionner le gogo. Qui s’en étonnerait, venant d’un écrivailleur bardé de son.., fatras d’idiotismes.
165
Saturnol : Ne soyez pas désobligeant. Rien d’attesté ne justifie pareil opprobre. Sans forfanterie, je me targue de n’avoir aucun écrit publié : beaucoup ne pourraient pas en dire autant.
166
Bacchanus : J’ai un moyen de vous réduire à quia : quand on connaît le prix du foncier, où seraient édifiées vos paillotes ?
167
Saturnol : En périphérie, se trouvent communément des terrains abordables.
168
Bacchanus : Abordables sans être accessibles.
169
Saturnol : Remarque pleine de bons et mauvais sens. L’éloignement, sans doute, implique-t-il des lignes de transport.
170
Bacchanus : Entre autres.
171
Saturnol : Ici une précision s’impose. Le travail fiscal dont nous parlâmes comporte une exigence non négociable : il ne s’exerce qu’en faveur des indigents, et personne d’autre.
172
Bacchanus : Vous éludez l’obstacle.
173
Saturnol : Apparence trompeuse : s’écarter du sujet, dans certains cas, permet d’y mieux revenir.
174
Bacchanus : On ne contrarie pas un vieil illuminé, tendance monomaniaque.
175
Saturnol : Appuyée sur une déduction malvenue, votre idiosyncrasie entière porte à outrer : je ne suis pas complètement.., chenu. Encore qu’il soit doux de se voir pourvu d’un âge supérieur à celui des registres officiels.
176
Bacchanus : Vous êtes intriguant.
177
Saturnol : S’il ne s’agit pas du substantif, concédez-moi quelques mots supplémentaires.
178
Bacchanus : …Pourquoi cette condition sine qua non, relative au travail fiscal ?
179
Saturnol : Pour plusieurs raisons. Voyons l’une d’elles : cette formule empêche de fausser l’organisation productive du pays.
180
Bacchanus : En quoi ?
181
Saturnol : L’explication sera plus claire en procédant a contrario. Exemple – comme travail-impôt – l’indigents repeint le mobilier urbain ou restaure une façade d’immeuble appartenant à des particuliers cossus. Ce faisant, il prive d’une juste rémunération l’artisan qui paye patente.
182
Bacchanus : Il en irait de même concernant le quart-monde.
183
Saturnol : Erreur ! Là, personne n’a les moyens de payer : aucun professionnel ne serait donc lésé. Revenons maintenant au problème antérieur. Si l’éloignement nécessite une navette – bien sûre gratuite –, des indigents qualifiés pourraient la conduire.
184
Bacchanus : Tout le monde n’a pas son permis.
185
Saturnol : Ce travail s’apprend. Par ailleurs, certaines personnes aisées – ad hoc s’entend – auraient la possibilité d’apporter leur aide.
186
Bacchanus : Si j’étais vous, je ne compterais pas trop sur elles. Ces dilettantes ne doivent pas courir les rues.
187
Saturnol : Je ne suis pas d’accord, on peut tabler sur de nombreuses candidatures.
188
Bacchanus : Effarant ! à l’instar d’une jouvencelle, un cynique tel que vous croyant aux vertus de la classe friquée, cela me dépasse.
189
Saturnol : Votre doute préalable a un côté désespérant lorsque l’on veut conserver, avec peut-être une confiance exagérée en l’aptitude humaine, autant que pure se peut, la qualité de son cynisme. A la vérité, les personnes en question viendraient parce qu’elle y trouveraient un intérêt.
190
Bacchanus : Une place de choix au paradis ?
191
Saturnol : Nul ne disposant, sur l’au-delà, d’informations incontestables, le mieux sera de s’en tenir aux choses d’ici-bas. L’offre alléchante serait le remplacement de la tranche fiscale du paupérisme par son équivalent en heures de travail, pareillement aux nécessiteux. Tout le monde serait mis à égalité : cela devrait assouvir vos appétences révolutionnaires.
192
Bacchanus : Imaginez-vous sérieusement un cadre, aux horaires surchargés, qui se laisserait prendre à cette escobarderie ?
193
Saturnol : Vous m’attribuez une souplesse d’esprit qui ne peut que m’honorer. Si l’on abandonne à leur triste stress vos cadres effrénés, il reste les retraités actifs…
194
Bacchanus : Publicité mensongère : rares seraient ces postes pour papis et mamies routiers.
195
Saturnol : On peut aussi se bien conduire autrement qu’en conduisant. Exemple : transmettre moult connaissances professionnelles. Trop souvent, ceux qui peuvent faire ne savent pas, et ceux qui savent faire ne font plus. Formation sur le tas, seule manière de progresser quand l’apprenti manque des bases nécessaires. Pendant longtemps, c’est comme cela qu’on apprît à oeuvrer. Ainsi ont été bâti châteaux forts et cathédrales moyenâgeuses, qui perdurent.
196
Bacchanus : Harangue du petit patron qui se prend pour un grand, sans l’être : grand seulement par sa prétention saugrenue à en remontrer aux experts.
197
Saturnol : Il est fâcheux de déchoir du piédestal avantageux où indûment vous me juchâtes. En effet : bien qu’industrieux, je ne suis pas industriel. Mais ô divine surprise : ma grandeur semble percer sous mon obscur aspect, puisque vous la mentionnâtes. Après ces inestimables considérations, si l’on revenait à notre sujet paupérisé ? Pourraient aussi être réunies des maisons basses de plus vaste superficie, afin d’accueillir davantage d’individus : différentes possibilités sont envisageables.
198
Bacchanus : Avec une clôture électrifiée autour, voici des camps d’internement tous neufs. N’oubliez pas l’inscription à l’entrée : « le travail rend libre ».
199
Saturnol : Au demeurant, la formule n’est pas sotte : dommage qu’en mésusèrent des bandits. Quitte à vous désappointer, on s’abstiendra des miradors et du barbelé. Circuleraient à leur guise vos « déportés » : difficile d’être moins liberticide.
200
Bacchanus : Pas d’argousins ?
201
Saturnol : Nulle part au monde, à l’intérieur d’un groupement humain, n’est rapportée une absence de discipline. Même les jeunes enfants s’imposent des contraintes de rang. On retrouve aussi ce comportement chez les animaux.
202
Bacchanus : Arrêtez. S’ajoutant aux problèmes causés par la misère, les ghettos n’ont pas besoin d’un flicage : on parle de pauvres hères – dominés.
203
Saturnol : Dans chaque rassemblement de dominés, certains ne le sont pas autant que les autres. D’entre ces arrivistes sortent les petits chefs qui martyrisent leurs congénères moins grossiers. La loi qu’ils combinent – appelée « de la jungle » – se révèle toujours impitoyable : une force brute exclusivement dévouée à un intérêt familial ou tribal.
204
Bacchanus : Vous avez le culot de transformer ces victimes en bourreaux.
205
Saturnol : C’est le fatum de toutes les victimes accaparant le pouvoir, quand elles ignorent les codes d’équité, laborieusement polis au fil des siècles, propres à civiliser l’homme-animal. Moins cette clique dirigeante jouit de mœurs policées, plus elle recourt aux sévices bestiaux.
206
Bacchanus : Prêchi-prêcha sécuritaire d’ethnologue facho.
207
Saturnol : Ce jugement intempestif m’embarrasse fort, je ne mérite aucunement d’être qualifié.., d’universitaire : n’ayant pour tout cursus qu’un certif, pas même agrémenté d’une mention prestigieuse dont tout faraud pourrait à juste titre se prévaloir. Néanmoins, avec votre aimable permission, j’aimerais aller jusqu’au bout du raisonnement.
208
Bacchanus : Vos paroles onctueuses m’extorquent mon approbation.
209
Saturnol : J’en profiterai donc éhontément. Dans une démocratie, mieux vaut supporter l’ordre de la police d’Etat supervisée par l’exécutif, plutôt que le caïdat hors contrôle et sanguinaire des shérifs autoproclamés. Sans quoi, face aux gros bras claniques : malheur à la personne qui ne peut compter sur aucun secours. Terrorisée par les menaces de représailles, elle doit en outre renoncer à se plaindre. I-moralité : en abandonnant les misérables aux pires des leurs, leur misère empire.
210
Bacchanus : Il n’empêche que ces pauvres gens seraient parqués dans des zones d’exclusion : ghettoïsés à vie.
211
Saturnol : Pas forcément.
212
Bacchanus : Vous avez réponse à tout.
213
Saturnol : Vous avez question à tout.
214
Bacchanus : Justement…
215
Saturnol : Dès que tous les nécessiteux disposent d’une clé personnelle, l’organisme fiscal anti-pauvreté s’attelle à l’amélioration de leur habitat : construction d’immeubles en zone moins excentrée, rénovation d’appartements dans des quartiers convenables...
216
Bacchanus : Parfait ! les indigents accèdent au parc d’habitations correctes que lorgnent certains prétendants depuis des lustres : jalousie devinable.
217
Saturnol : Fausse compétition.
218
Bacchanus : Allons donc, tous briguent la part d’un gâteau qui n’est pas extensible.
219
Saturnol : Voire ! grâce à ce système d’aide spécifique, on peut augmenter d’une façon notable le nombre de logements construits, même chose concernant la rénovation d’anciens locaux.
220
Bacchanus : Il n’est plus question de pis-aller vite faits.
221
Saturnol : Entièrement d’accord. L’habitabilité varierait bien sûr en fonction des moyens disponibles. Assez vite, différents paliers qualitatifs seraient proposables. Mais avant d’élucider l’arcane du gâteau extensible, une petite remémoration : pour s’acquitter de sa tranche fiscale destinée à l’éradication du paupérisme, l’assujetti solvable aurait deux possibilités.
222
Bacchanus : Oui ! somme d’argent ou bien heures de travail équivalentes.
223
Saturnol : Exact ! maintenant il faut savoir qu’il existerait une troisième possibilité.
224
Bacchanus : Quel lapin fantasmagorique allez-vous sortir de votre chapeau d’illusionniste escamoteur ?
225
Saturnol : Dites plutôt : bouquin haletant d’Alice, car il devrait être interdit de faire attendre sine die la victime du dénuement, semblable à n’importe quel sinistré d’une catastrophe.
226
Bacchanus : En cela, et à titre exceptionnel, je vous suis : pourquoi n’est-ce point d’ailleurs une loi gravée au cœur de la République ?
227
Saturnol : Bonne question, sans réponse pour l’instant, mais tout change et le monde peut s’amender. Alors revenons à cette troisième possibilité. Elle intéresserait les entreprises pouvant remplacer leur tranche fiscale anti-misère par un équivalent fourni en nature : matériaux et matériels utiles à l’éradication du paupérisme, bien sûr.
228
Bacchanus : Toujours plus de complications : votre usine à gaz devient ingérable.
229
Saturnol : Vous ne tenez pas compte d’un fait : proche d’un conte de fée pouvant se réaliser.
230
Bacchanus : A d’autres ! marier la carpe et vos deux lapins sera infécond.
231
Saturnol : Avec la génétique moléculaire, il ne faut jurer de rien.
232
Bacchanus : Quelle coquecigrue avez-vous encore échafaudé ?
233
Saturnol : La constitution d’une armée civile. L’état-major serait composé – en grand nombre – de ces chefs d’entreprise figés aujourd’hui dans leur retraite, malgré des compétences indéniables, mais devenus inutiles à la population. Une majorité d’officiers seraient des cadres : parmi eux, les ingénieurs nécessaires à la résolution de certains problèmes… La section des sous-officiers serait formée d’hommes de métier, qui transmettraient leurs connaissances professionnelles. Pour finir, la troupe serait constituée des indigents : présentation évidemment succincte.
234
Bacchanus : Poétiser est facile, mais passer à l’acte soulèverait d’insurmontables difficultés : rien que sur le plan administratif…
235
Saturnol : Les nombreux retraités de la fonction publique, assistés d’autres spécialistes des travaux d’administration, apporteraient leur concours.
236
Bacchanus : Voyez comme je suis objectif : cette surabondance d’acteurs plus ou moins fonctionnarisés accentuerait davantage l’aspect ingouvernable de votre système. Il y a des exemples.
237
Saturnol : C’est peu probable, en raison du fractionnement des responsabilités. Chaque chef de district bénéficierait d’une large autonomie. Sa seule contrainte : obligation de résultat. Hormis cet impératif, il aurait carte blanche.
238
Bacchanus : Alors c’est la porte ouverte aux improbités : trafics, prévarication, détournements, concussion, péculat, népotisme, etc.
239
Saturnol : Cette familiarité avec certaines propensions de l’humain, souvent tues, vous fait honneur.
240
Bacchanus : Votre vision ficelle de misanthrope parano aura réussi quelque peu à déteindre sur moi.
241
Saturnol : Inconcevable ! ainsi je parviendrais à exercer une saine influence sur quelqu’un : qui l’eût cru ? Mais enfin, ce menu plaisir est hors sujet : le seul auquel il faut maintenant s’employer étant la crapulerie.
242
Bacchanus : Vous devez être passé maître dans ce domaine.
243
Saturnol : Pas commode de se montrer à la hauteur d’un si bel hommage, lançons-nous quand même. Pour parer aux risques en question, vous auriez l’assistance de personnes bien formées, à la retraite ou non, qui s’occuperaient du contrôle. Avec des patrouilles itinérantes chargées de proscrire : gaspillage, incurie, impéritie, et autres mauvaises plaisanteries du même tonneau.
244
Bacchanus : Quelles mesures territoriales commanderaient le district modèle ?
245
Saturnol : Avant tout, des limitations de domaine propres à restreindre les disponibilités.
246
Bacchanus : Je présume que votre bornage implique une motivation.
247
Saturnol : Il n’est pas gratuit, en effet : peu de choses à soustraire. La minceur du butin éloigne l’aigrefin. Par-dessus le marché, cette disposition sert à prévenir toute gérance somptuaire au profit des dirigeants, qui contredirait leur mission initiale, et dont les exemples ici ou là ne manquent pas : logement de fonction, voiture, chauffeur, locaux luxueux, publications de prestige, réceptions fastueuses, colloques inutiles, défraiements plus que généreux, etc. Au sein d’un contexte étroit, ces types d’abus seraient plus aisément appréhendés.
248
Bacchanus : Cela ne s’étant jamais fait : personne ne saurait comment s’y prendre.
249
Saturnol : Croyez-vous qu’un meneur d’hommes, enrichi d’une longue expérience dans l’entreprise, entouré d’assistants, collaborateurs, spécialistes, bénéficiant d’abondante main-d’œuvre, à qui l’on confierait : fonds, matériels et matériaux requis, s’estimerait incapable de faire ce travail ?
250
Bacchanus : Le fonctionnement d’une telle intrication d’éléments hétérogènes impliquerait un commandement strict : à défaut de schlague, l’autoritarisme sévirait.
251
Saturnol : Tempéré par les us démocratiques. En fin de compte, ceci est une affaire d’organisation : ouverte à ceux qui en ont l’étoffe.
252
Bacchanus : Améliorer l’habitation ne serait pas le plus difficile.
253
Saturnol : Votre optimisme a quelque chose de réconfortant.
254
Bacchanus : Les ghettos se déplaceraient sans se restreindre.
255
Saturnol : Il en sera toujours ainsi quant à une frange résiduelle, je le crains.
256
Bacchanus : Vous reconnaissez enfin que votre système a des carences, j’en suis fort aise.
257
Saturnol : Cela m’ennuie d’avoir à néantiser le germe de votre alacrité : cette insuffisance rémanente serait délibérée.
258
Bacchanus : Bigre ! on se veut l’égal de Machiavel.
259
Saturnol : Comparaison dénigrante.., pour le plus grand des mentors, mais oublions vite ce modèle trop écrasant.
260
Bacchanus : Comme vos absences.., de solution à la constance des ghettos.
261
Saturnol : En majeure partie, ces foyers d’anomie sont solubles.
262
Bacchanus : Comment ? Songez au problème voisin : quand les demandeurs d’un meilleur logement – tous égaux en droit – excédent le nombre des offres.
263
Saturnol : Quel que soit le cas, il y aurait une sélection.
264
Bacchanus : Vous n’abandonnerez donc jamais ces pratiques anti-égalitaires : à la tête du client, monsieur le marchand de tapis ?
265
Saturnol : Encore une fructueuse promotion sociale que, pour éviter d’être taxé de menterie, je dois dénier. Quoi qu’à l’occasion je commerce avec autrui, pour autant cela ne fait pas de moi un commerçant.
266
Bacchanus : Baste ! ces atermoiements, nous en étions à vos défauts d’habitations.
267
Saturnol : Plût à Hermès que je m’abstinsse d’une telle discourtoisie, alors voyons divers exemples de clauses suspensives ou dilatoires : refus d’accomplir son travail fiscal, progéniture traînant dans les rues – le jour comme la nuit, absentéisme scolaire, enfantement trop jeune, libation(s), nuisance(s) acoustique(s)…
268
Bacchanus : On s’écarte du paupérisme.
269
Saturnol : Mais pas de l’économique : surendettement, nombre d’enfants si leurs parents sont inaptes à les élever convenablement, addiction(s), non respect des valeurs républicaines et démocratiques…
270
Bacchanus : En l’espèce, quelles ratiocinations invoqueriez-vous ?
271
Saturnol : Les travers prolongés, quand survient une crise sérieuse, finissent toujours par allumer des guérillas intercitoyennes qui coûtent horriblement cher aux sociétés. Alors poursuivons : racisme, affichage ostentateur de sa confession, extrémisme religieux, exérèse ignorantine d’un bout génital, communautarisme, dégradation(s), invective(s), brutalité(s), délinquance, etc.
272
Bacchanus : Essayeriez-vous de fabriquer des abouliques ?
273
Saturnol : Non ! des êtres gagnés par la civilisation et devenant patriotes, d’où s’avérerait indispensable une affirmation – à l’exemplarité didactique – comme : accéder aux habitations de classe supérieure se mérite.
274
Bacchanus : Vous êtes négatif : multiplier ainsi les proscriptions.
275
Saturnol : Pas seulement négatif : on semble douter de mes ressources, alors que je puis me surpasser. A telle enseigne – dans un objectif d’exhortation – seraient attribués des points positifs. Exemples de modalités d’obtentions, certaines périodiquement renouvelables : assiduité, application scolaire, diplôme(s), excellence du travail-impôt, activité professionnelle en situation marchande, nom patronymique et prénom « francisés »…
276
Bacchanus : Comme vous y allez ! Pourquoi ne pas exclure des dictionnaires les non-gallicismes, tant que vous y êtes. L’ensemble des honorables concitoyens ne sauraient cautionner un tel ferment de haine.
277
Saturnol : Pourtant celle-ci renaît inévitablement, poussée à l’extrême, lorsque la conjoncture présente une forte dégradation. Aussi chacun devrait arrêter – sans contrainte – son legs de vie assurée aux générations suivantes.
278
Bacchanus : Vos lendemains calamiteux ne sont pas écrits.
279
Saturnol : Adéquatement ! l’homme circonspect tâche de se soustraire aux contingences redoutables. Tels ces Vikings sagaces en Normandie qui renoncèrent à leur signes distinctifs pour se fondre dans la masse, s’épargnant ainsi de prévisibles chasses aux minorités disjointes.
280
Bacchanus : Vous parlez d’époques révolues.
281
Saturnol : Aujourd’hui, sous toutes les latitudes, on massacre en invoquant ces motivations d’un autre âge. N’ayez garde d’oublier qu’au siècle dernier l’Europe entière s’égara dans de pareilles turpitudes. Même sur nos terroirs avancés, cela pourrait revenir. Avant des lustres, aucune de ces malédictions répétitives ne sera irrévocablement annihilée. L’histoire des peuples l’enseigne à ceux qui savent en dégager les leçons. Mais je parachève ma litanie : efforts indubitables pour acquérir une solide éducation, moralité, civisme, augmentation des connaissances et du niveau culturel, élevage à plein temps de sa progéniture, désendettement aménagé, désintoxication ou traitement imposé avec suivi ininterrompu, etc.
282
Bacchanus : Des saisies de données à profusion, juste pour déménager…
283
Saturnol : Vous avez raison de souligner ce fourvoiement : celles-là devraient remplir un autre usage.
284
Bacchanus : J’en augure que le nécessiteux expérimentera nolens volens un nouveau bourrèlement.
285
Saturnol : Ne soyez pas défaitiste, on pourrait faire preuve de générosité. Touchant son travail-impôt, l’indigent percevrait une prime indexée sur ses points, qui s’ajouterait à sa rémunération hebdomadaire.
286
Bacchanus : Pourquoi cette périodicité ?
287
Saturnol : En des coins où certains ilotes avinés s’entre-égorgent pour quelques numéraires, cela éviterait les grosses coupures.
288
Bacchanus : Comment peut-on se moquer des misérables ?
289
Saturnol : En les laissant croupir dans l’impécuniosité.
290
Bacchanus : Avec ces activités s’ajoutant au travail fiscal, les pauvres chômeurs n’auraient plus le temps de chercher un boulot normal.
291
Saturnol : A ce propos, la quête active d’emploi offrirait de nombreux points. Quant à bien organiser son agenda : cela aussi s’apprend.
292
Bacchanus : Je vois, père Fouettard, qu’on sait fourbir son cadeau empoisonné.
293
Saturnol : Etre rangé au niveau d’une figure paternelle qui ne veut pas se montrer démissionnaire a de quoi vous remplir d’aise.
294
Bacchanus : En définitive, votre engendreriez le Big Brother du nécessiteux, dont chaque mobile serait surveillé, calculé, stimulé, sanctionné : jolie prouesse.
295
Saturnol : Motif d’infatuation, certes, mais je crains que vous n’errassiez. A moins de jouer les imposteurs, il me faut consentir que je n’inventasse rien, en la matière : ce présent sort d’une autre hotte.
296
Bacchanus : La belle affaire !
297
Saturnol : Quand même ! la nuance est de taille. Aujourd’hui tout le monde bénéficie des attentions constantes et même croissantes de Grand Frère. En revanche, le Gros Frangin propre à l’indigent serait temporaire : son action se terminant dès que la personne cesse de recourir aux offres gratuites.
298
Bacchanus : Il y a les prisonniers de la dèche.
299
Saturnol : Beaucoup ont des potentialités. Bien sûr, rien ne sert de faire boire un âne qui n’a pas soif : on doit attendre l’heure du changement, lorsque la volonté devient bonne.
300
Bacchanus : Et les autres, incapables de se tirer d’affaire, pour de multiples raisons ?
301
Saturnol : Ils s’en feront une – pouvant méditer sur l’exemple des lois de Mère Nature que nul ne peut émouvoir, autrement plus sauvages : dura lex, sed lex.
302
Bacchanus : Ces observations trahissent vos instincts de serpent, à la langue pleine d’écœurant mépris envers les parias.
303
Saturnol : C’est navrant. Sans doute ai-je dû mal m’exprimer. Rassurez-vous, loin de moi l’idée d’entériner un sentiment reptilien : j’abhorrerais ramper devant quelqu’un.
304
Bacchanus : Par cette dérobade, vous fortifiez votre roide et désadaptée hauteur.
305
Saturnol : J’en infère qu’il est temps de redescendre à un niveau moins théorétique. Les nécessiteux n’ont pas seulement besoin de moyens d’existence, leur est indispensable une fierté légitime. La meilleure façon de l’acquérir consisterait à faire preuve d’esprit chevaleresque, sous forme d’occupation spécifique : par exemple soutenir les êtres abandonnés.
306
Bacchanus : Vocation déjà incarnée par le travail civique. Vouloir épuiser les maigres ressources de l’indigent, c’est du propre : exploiteur sans vergogne.
307
Saturnol : L’expression me convient à merveille pour la riche prégnance qu’elle renferme. Si par une bonne exploitation des ressources du miséreux, se retire toute vergogne de son cœur, cette formule payante lui sera chère.
308
Bacchanus : La posture d’assisté ne rend pas secoureur.
309
Saturnol : Une même main peut recevoir et donner : seul le geste compte.
310
Bacchanus : Au juste, à quel don seraient tenus ces gens, hormis le temps sacrifié ?
311
Saturnol : Ils pourraient offrir un bien inestimable : la fraternité. Leur vécu et un langage communs favoriseraient la compréhension, source de réconfort.
312
Bacchanus : Et en cas de refus ?
313
Saturnol : L’individu perd de son estime, ainsi que des points.
314
Bacchanus : Pourquoi intéresser les volontaires, vous dénaturez cette conduite généreuse ?
315
Saturnol : Parce qu’il est bon d’accroître les moyens de s’élever. Avec en prime une antilogie : serait recherchée la compagnie des personnes délaissées.
316
Bacchanus : Dernière remarque superfétatoire.
317
Saturnol : Sauf pour les intéressés. Il existe aussi d’autres êtres livrés à l’abandon, auxquels on pense moins : animaux et végétaux.
318
Bacchanus : Les pauvres devenant toiletteur ou jardinier, je détecte là un grand écart par rapport à l’unique mission d’éradiquer le paupérisme.
319
Saturnol : Système nullement abâtardi : ces porteurs de vie n’ayant pas d’argent.
320
Bacchanus : Quelle lapalissade : aucun animal ou végétal ne pourrait gérer un compte en banque.
321
Saturnol : Mais leur propriétaires, si. Bien entendu, il s’agit de ceux tombés dans la misère. Voici quelques exemples d’actions : promener des animaux enfermés, leur prodiguer une douce attention, soigner certaines plantes…
322
Bacchanus : Au sujet des affections, je présage que vous laisserez complaisamment s’approfondir le trou récurrent de la Sécurité sociale ?
323
Saturnol : On doit pouvoir en la matière faire œuvre civique. Par exemple, nombre de soins ou médicaments impartis aux nécessiteux prendraient la forme d’équivalent-impôt. S’intégrant dans le budget réservé à l’éradication du paupérisme, leurs montants sortiraient des registres comptables de la Sécurité sociale.
324
Bacchanus : Mesures insuffisantes pour soulager l’organisme administratif.
325
Saturnol : La protection médicale étant grosso modo une assurance, les indigents devraient en payer les cotisations : excellente façon de leur donner l’impression d’être comme tout un chacun.
326
Bacchanus : Je prévois la suite : mais dorénavant cela ne peut plus fonctionner.
327
Saturnol : Si votre sagacité vous a permis d’entrevoir une invraisemblance qui m’aurait échappé, faites-moi la grâce de m’en instruire.
328
Bacchanus : Vous escomptez encore faire travailler les malheureux sans rémunération, sauf qu’en l’occurrence leurs emplois non classiques – hors des circuits créateurs de richesse orthodoxe – ne profiteraient pas à l’assurance-maladie.
329
Saturnol : Vu que des travaux monnayables sont organisés dans le milieu carcéral, rien n’empêche d’en faire autant à l’extérieur.
330
Bacchanus : Cela rapporte peu.
331
Saturnol : Au contraire, le geste compte beaucoup.
332
Bacchanus : Voici vos indigents toujours plus occupés.
333
Saturnol : Dérivatif approprié pour la jeunesse qui s’ennuie au pied des immeubles en faisant ce que les zélateurs de l’euphémisme à outrance nomment pudiquement : « bêtises ».
334
Bacchanus : Iriez-vous jusqu’à leur interdire l’accès aux soins en cas de refus ?
335
Saturnol : Quand il s’agit d’expiation, les bien-pensants ont l’imagination fertile, mais non ! Le récalcitrant perdrait seulement des points, en gagnant beaucoup de déconsidération.
336
Bacchanus : Admettons que le nécessiteux déniche un emploi du marché concurrentiel : vous faites quoi ?
337
Saturnol : Rien. Tant mieux pour lui.
338
Bacchanus : Exprimons-nous autrement : à quel seuil de revenu fixer la suppression des aides ?
339
Saturnol : Aucun.
340
Bacchanus : J’ai cru entendre : aucun.
341
Saturnol : Parce que j’ai dit : aucun. Même un milliardaire pourrait bénéficier de cette assistance aux démunis.
342
Bacchanus : Propos insanes : le système s’effondrerait sous la demande. Votre inféodation aux ploutocrates vous aveugle : renégat du solidarisme.
343
Saturnol : Contrairement à l’ouaille moutonnière, l’apostat s’est au moins donné la peine de réfléchir par lui-même, je vous sais donc gré de l’analogie. Notre procédure d’obtention doit être aussi simple que possible. Aussitôt l’aide obtenue, la personne solliciteuse se voit gratifiée d’une espèce de surtaxe dont le produit irait au budget réservé à l’éradication du paupérisme.
344
Bacchanus : Cet aspect moral n’écarterait pas les pseudo-déshérités.
345
Saturnol : Excepté que la surimposition serait des plus dissuasives : à partir d’un certain revenu.
346
Bacchanus : Quel niveau ?
347
Saturnol : Ce point resterait à déterminer.
348
Bacchanus : Qui le ferait ?
349
Saturnol : Les citoyens, par des scrutins : avec une adaptation aux vicissitudes économiques lorsque c’est nécessaire.
350
Bacchanus : Cela pourrait donner le pire.
351
Saturnol : Ou le meilleur, pour peu que les montants soient bien supputés : de manière à toujours favoriser l’ascension sociale des indigents.
352
Bacchanus : Ce serait trop beau s’il ne leur fallait rien de plus.
353
Saturnol : L’assidue pratique de différentes professions et un savoir en progrès – notés – assortis d’une adresse vérifiable seraient convaincants pour trouver des emplois classiques.
354
Bacchanus : Excepté que ceux-ci se raréfient toujours davantage, émigrant vers des terres où le prix du travail est bas.
355
Saturnol : Ces pertes ne sont pas fatales. Dès qu’aux petits salaires on retranche l’équivalent des avantages en nature, les emplois peu rémunérés retrouvent leur compétitivité.
356
Bacchanus : Joli cadeau fait aux patrons.
357
Saturnol : Pas uniquement à ces derniers. Après chiffrage des revenus hétérogènes, on accorderait au modeste salarié une hausse de sa rémunération commerciale : autrement dit son pouvoir d’achat effectif augmenterait. Si les niveaux quantitatifs sont judicieux, chacun doit y trouver un intérêt. Et au final, la nation s’enrichit.
358
Bacchanus : Par quel tour de passe-passe ?
359
Saturnol : Quand la majorité des habitants travaillent – incorporant ceux qui aujourd’hui sont à l’écart – le pays tout entier bénéficie de l’apport supplémentaire. Cela provoque à l’évidence un enrichissement général.
360
Bacchanus : Y a-t-il quelque chose qui pourrait ébranler votre créance ?
361
Saturnol : Si l’on trouve un meilleur système, moins cher et plus rapide : je m’inclinerai volontiers.
362
Bacchanus : Votre présomption intellectuelle ne craint pas de lancer un défi aux penseurs les plus brillants.
363
Saturnol : Nouvelle expression d’outrecuidance dont vous m’avantagez, mais qu’il m’est impossible d’assouvir sans forligner : je n’appartiens pas à l’intelligentsia. Maintenant à mon tour d’ouïr le suc de l’esprit : pragmatiquement, quelles sont vos idées propres ?
364
Bacchanus : Elles ne foisonnent guère en ce moment, je dois l’avouer.
365
Saturnol : Aveu pour aveu, je vous concède plusieurs écueils susceptibles d’offusquer vos gens.
366
Bacchanus : Diantre !
367
Saturnol : La mendicité – affranchie des accommodements casuistiques devenus oiseux – pourrait être défendue.
368
Bacchanus : Mordienne !
369
Saturnol : Vu l’accessibilité des promotions offertes à tous, la justice – libérée du légitime apitoiement – assumerait mieux son exigence coercitive.
370
Bacchanus : Vertubleu !
371
Saturnol : Puisque l’essentiel de l’aide aux indigents est fournie en nature, les étrangers ne pourraient plus envoyer des sommes substantielles à leur pays d’origine, rendant l’immigration économique moins attrayante.
372
Bacchanus : Jarnicoton !
373
Saturnol : Par ailleurs les populations clochardisées se retireraient des lieux où elles n’auraient plus rien à récolter : centres commerciaux, emplacements touristiques, beaux quartiers… De nombreux squares familiaux et bancs publics retrouveraient leur utilité causale.
374
Bacchanus : Cornegidouille !
375
Saturnol : Il adviendrait le tarissement des infections comme la phtisie et celui de certains foyers parasitaires : punaises, poux, puces…
376
Bacchanus : Mazette !
377
Saturnol : Rétablissement du droit de propriété, aussitôt l’abandon des squats jusque-là tolérés en arguant d’une dialectique compassionnelle.
378
Bacchanus : Ventrebleu !
379
Saturnol : Dès qu’est suffisant le parc d’habitations élémentaires, l’indigent embauché peut aisément s’établir près du lieu de travail commercial. Alors s’éclipse l’allégation de la fatigue occasionnée par des longs trajets dans les transports en commun, et leur coût. Le déménagement – gratuit – prendrait la forme d’un équivalent-impôt.
380
Bacchanus : Saperlotte !
381
Saturnol : Consécutivement à des journées bien remplies, diminueraient certaines germinations de délinquance. En particulier celle nommée petite, qui a néanmoins le pouvoir d’engendrer d’immenses atteintes sociales.
382
Bacchanus : Malepeste !
383
Saturnol : Mêmement les ignominieux graffitis plus ou moins unicolores et la combustion délibérée d’objets autolocomoteurs se raréfieraient.
384
Bacchanus : Fichtre !
385
Saturnol : Les effectifs des maisons d’arrêt et de redressement s’amoindriraient.
386
Bacchanus : Cher monsieur, je crois vous comprendre : sous votre raboteuse carapace perce un estimable crypto-fonctionnaire qui a su conceptualiser l’embryon d’une savante idéologie convertissable sans trop d’effort en mutualisme doctrinal.
387
Saturnol : Etant fort sensible à tout ce que l’on dit de moi, je ne peux accepter d’être ainsi diffamé. Ni titulaire ou vacataire voire auxiliaire surnuméraire, ni prôneur d’une pensée dogmatique capable d’entraîner la pénurie générale.
388
Bacchanus : Il s’agissait d’intentionnalité purement laudative.
389
Saturnol : Aux voies immodérées, on doit toujours mettre un terme.
390
Bacchanus : Ce conclusif mot vous permet d’avoir le dernier.
391
Saturnol : Du moment que c’est un bon.
392
Bacchanus : Je dirai mieux : celui de la fin.
393
Saturnol : Et que cette dernière soit également celle de son homonyme : avec arrêt définitif.
394
TIERSI